samedi 5 septembre 2009

Voir le Japon... # 6

Samedi 5 septembre : à nous la montagne

Pressons! Pas de grasse matinée ce matin : il faut être à Shinjuku (gare, évidemment immense, proche de la mairie) à 10 h 20. Les métros s'enchaînent impeccablement, et il nous reste juste le temps d' acquérir un bento pour midi et de nous installer dans un train blanc assez bas, superbement profilé et doté du nom évocateur de Romancecar, confortable, aux sièges réversibles. Après que Manou et Stéphane aient fait leur heure quotidienne de japonais, on peut se mettre face à face, discuter et manger nos bentos en jetant un oeil sur le paysage qui, après une interminable banlieue de maisons légères, petites, tassées les unes contre les autres, s'accidente et se couvre de forêts à la japonaise, hautes et sombres.

Nous voilà vers midi au chef-lieu de Hakone, petite ville tapie dans une vallée encaissée où dévale un torrent. L'hôtel est à quelques centaines de mètres, immense bâtisse récente au grand hall moqueté dont les grandes baies s'ouvrent sur un jardin et sa cascade. Les bagages déposés, nous retournons à la gare retrouver Yvette qui nous y attend et prendre le car pour remonter la vallée sur une trentaine de kilomètres, jusqu'à Moto Hakone, petite station balnéaire qui s'allonge au bord d'un splendide lac volcanique s'étendant sur plusieurs kilomètres entre les montagnes tour à tour boisées et herbeuses, le lac Ashi.


Comme nous arrivons près du bord s'approche, venant du bout du lac, un curieux bateau, sorte de grand trois-mâts... à moteur, équipé de canons et de voiles factices, et portant d'avenantes figures de proue et les silhouettes menaçantes de pirates en carton-pâte. C'est le vaisseau pirate, l'un des quatre, inspirés de l'univers de Disney, parcourant le lac, qui va nous emmener en vingt minutes, dans une agréable animation familiale à la japonaise, sage et mesurée, à l'autre extrémité. Sur la berge se succèdent golfs, hôtels, temples précédés d'immenses toriis... et à mi-parcours voilà qu'on distingue, légèrement masqué par les nuages, le sommet du Fuji-San dont les 3778 m se dressent à quelque distance. Au débarquement, changement de mode de transport : c'est un télécabine de 12 places qui nous emporte quelques centaines de mètres plus haut.

Des odeurs pas très agréables, des fumées qui dépassent de la forêt, laquelle tandis que nous avançons laisse place à une zone rocheuse, dénuée de toute végétation, d'où s'élèvent de hautes colonnes de vapeurs malodorantes... qu'est-ce? Nous débarquons au bas d'une étendue qu'une longue colonne de touristes remonte en rangs serrés, jusqu'à l'endroit où les fumerolles sont les plus denses, jaillissant un peu partout de la roche nue. C'est le volcan Soûn. Un bassin naturel est rempli d'une eau quasi bouillante, et plus loin un autre, près duquel une silhouette fantômatique fend le brouillard pour y plonger et en retirer des caisses métalliques à claire-voie. Ce sont des oeufs, qui ressortent de l'eau cuits durs et noircis par le soufre de l'eau: une tradition veut qu'en consommer un donne l'assurance de vivre sept ans de plus. Alors, bien sûr, nous sacrifions à la tradition... mais pas plus d'un oeuf chacun, il n'est pas question d'atteindre ici à l'immortalité! La foule est telle, et la demande si nombreuse, qu'un petit téléphérique a été installé pour convoyer les caisses d'oeufs jusqu'aux bassins.


Un autre télécabine, bientôt relayé par un funiculaire (en anglais, rope-way et cable-way) nous redescend vers la vallée, vers un autre quartier de Hakone, Gora, qui offre, outre des magasins d'artisanat en bois (spécialité locale : les boîtes à secret), un hôtel du début du siècle, vieux palace qui a vu passer d'immenses célébrités : Einstein, Chaplin... Dans ses vieux salons officient des photographes de mode, et un buffet a été dressé dans le jardin méticuleusement entretenu, près d'un moulin à eau alimenté par une cascade.

Finalement, c'est en car que nous redescendons au chef-lieu pour prendre possession de nos chambres.

La classe! Imaginez une pièce, au sol recouvert de tatamis, de quatre mètres sur cinq environ, meublée d'une table basse entourée de quatre sièges sans pieds (c'est à cette table que nous mangerons tous quatre tout à l'heure). De lits, point. A droite, une petite estrade longeant le mur supporte un grand bouquet dont les enfants nous apprennent l'importance symbolique et le respect qu'il faut y porter. Au-delà de la chambre, donnant sur le jardin, un salon-loggia de deux mètres de profondeur avec deux canapés en vis-à-vis.

En attendant, il nous reste à découvrir l'une des spécificités japonaises, qui se cache de l'autre côté du bâtiment, sous la conduite de Manou et Stéphane qui prennent des mines mystérieuses pour nous conduire, chacun de son côté, à l'onsen de l'hôtel.

Qu'est-ce donc? Représentons-nous d'abord une grande salle carrelée où l'on se débarrasse du yukata à l'immense ceinture et du reste des vêtements en ne gardant qu'une micro-serviette pour respecter la pudeur de chacun en dissimulant ce qu'on peut deviner. Plus loin est la salle de l'onsen proprement dit, un grand bassin, de vingt mètres de long peut-être, rempli d'eau à plus de quarante degrés, en grosses pierres grossièrement taillées. Tout autour, des postes de lavage : on s'assied sur un petit tabouret en bois et on se savonne consciencieusement, et on se rince longuement à l'aide d'une douchette et d'une bassine en bois, car il n'est pas question de souiller... l'eau du bain, dans lequel on va ensuite se glisser, prudemment et précautionneusement car c'est bien chaud. Il faut reprendre son souffle, se laisser envahir par la chaleur et chercher une installation confortable, puis goûter longuement la caresse de l'eau qui se renouvelle en permanence. Si ce bassin ne convient plus, on peut en explorer un autre, dans une grotte, ou un autre encore, à l'extérieur de l'hôtel, au milieu des arbres qu'on devine dans l'obscurité. Et finalement, détendus, ramollis par la chaleur, conquis par l'atmosphère et le calme qui s'installe (nous ne sommes que trois du côté des hommes) c'est presque à regret que nous sortons de l'eau pour renfiler le yukata, qui sera notre vêtement habituel à l'intérieur de l'hôtel, même pendant les repas.

Quel repas ! La table est couverte de pots, bols, cassolettes, plats chauds ou froids, boîtes laquées superposées, réchauds individuels à combustible solide, tout cela renfermant de multiples mets que nous sommes bien incapables de reconnaître. Mais heureusement Stéphane et Manou confirment qu'ils sont en train de devenir des experts en cuisine japonaise (ils pourront à leur retour éditer un guide des centaines de restaurants japonais de Paris) ; ils peuvent nous guider dans notre ignorance, nous protéger des sauces un peu trop piquantes ou nous donner l'ordre souhaitable des plats... Tout cela est servi par une toute jeune fille en kimono bleu, petite et brune, qui, mules ôtées à l'entrée, s'agenouille comme le veut l'étiquette traditionnelle avant de servir ou de repartir. Globalement, à part quelques algues qu'il nous faudra encore du temps pour apprécier, c'est bon, très bon, copieux et varié. Les baguettes ne sont pas encore notre ustensile préféré, mais tant bien que mal nous parvenons à saisir les morceaux de viande et à avaler le riz. Nous goûtons ainsi aux sushis, aux desserts sucrés à l'aide de haricots rouges... et tant d'autres choses... Le thé accompagne bien l'ensemble et la réserve de riz posée à côté de la table disparaît peu à peu. Le repas dure ainsi longtemps, jusqu'à neuf heures, car comment manger vite avec les seules baguettes?


Quand le repas est desservi, un garçon dresse rapidement le lit : il repousse la table et les chaises d'un côté, puis sort d'un placard deux futons, sur lesquels il ajuste une sorte de couette, dont la housse laisse sur le dessus une large ouverture ronde. Parés pour la nuit !

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